Elu entraîneur de l’année en National il y a 4 ans, Emmanuel da Costa est d’abord connu pour son parcours à QRM, club qu’il avait emmené jusqu’en Ligue 2. Entraineur-Bâtisseur, le Normand sait qu’il faut du temps pour imposer une vision et des valeurs. Pas toujours simple à concilier avec l’impératif de résultats à court terme. Mais malgré certains vents contraires, le coach val-de-marnais n’a jamais lâché la barre, persuadé que le travail finirait par payer.
Esprit Bélier : Manu, après une fin de saison et un été tourmentés, qu’est-ce qui vous a conforté dans votre choix de poursuivre l’aventure à Créteil ?
Emmanuel da Costa : C’est d’abord un choix humain lié aux rencontres que j’ai pu faire ici. J’avais envie de continuer à travailler avec les gens qui m’entourent, que ce soit la direction ou le staff. Evidemment, je suis arrivé au club dans une période complexe. On repartait d’une page blanche et il y avait un nouveau chapitre à écrire. C’est ce que j’aime. Je suis un bâtisseur, je préfère m’inscrire dans la durée. Evidemment, j’avais conscience que tout ne serait pas simple. Mais j’ai toujours eu l’habitude de mettre les mains dans le cambouis et c’est encore plus réjouissant lorsque l’on réussit à construire quelque chose, comme j’ai pu le faire dans d’autres clubs.
EB : Il y a eu beaucoup d’incertitude cet été autour de l’avenir sportif du club. Comment avez-vous vécu cette situation ?
EdC : Ce fut un moment long et difficile. D’ailleurs, lorsqu’on regarde le début de saison, les équipes en difficultés ont été celles sur lesquelles a plané cette incertitude. On dit souvent qu’une saison se joue pendant le Mercato. Nous, pendant le Mercato, nous ne savions pas sur quel pied danser. Il y avait quelques signaux positifs, mais tant que la décision officielle n’est pas tombée, nous avons souffert du manque de visibilité et n’avons pas pu travailler sereinement.
EB : En plus d’avoir à composer avec cette incertitude, il a fallu remanier totalement l’effectif…
EdC : Nous avons effectivement renouvelé 95% de l’effectif dans ce contexte incertain. Il a fallu aussi composer avec la contrainte budgétaire pour reconstruire. Il y a, parmi les recrues, un certain nombre de garçons que je connaissais. C’est le cas par exemple de Riffi ou Alexis avec qui j’avais déjà travaillé. C’est le cas aussi de Sébastien Flochon avec qui je partage une vision du football et certaines valeurs humaines. D’une manière ou d’une autre, j’ai déjà croisé la plupart des joueurs et nous avions des atomes crochus. C’est notre rôle d’activer notre réseau lors de ces moments clés.
EB : Vous êtes souvent décrit comment un bâtisseur, un entraineur exigeant. Personnellement, comment vous définiriez-vous ?
EdC : Pas simple de s’auto-décrire…Mais l’exigence fait effectivement partie de ma philosophie. C’est elle qui permet de se surpasser. Parfois, cette exigence peut être difficile à accepter. Mais elle seule permet aux joueurs franchir des paliers. C’est mon rôle de les faire progresser. Je travaille beaucoup. En tant qu’entraîneur, nous sommes constamment sous le feu des projecteurs. La critique fait partie du jeu, que l’on gagne ou que l’on perde. Je ne sais pas si l’image perçue est en adéquation avec la réalité car j’ai pris l’habitude de me protéger. Au final, ce qui m’intéresse, c’est l’image qu’on les joueurs ont de moi. Lorsqu’ils parlent d’honnêteté, de travail et d’exigence, ce sont des valeurs dans lesquelles je me reconnais.
EB : D’un point de vue plus personnel, quel trait de votre personnalité vous parait le plus méconnu ?
EdC : Je suis un vrai boute-en-train ! Les gens qui me connaissent intimement le savent. Dans mon parcours, j’ai été marqué par une interview qui me décrivait comme hautin. De toutes les critiques, c’est peut-être la plus difficile car elle renvoie à l’éducation que j’ai reçue de mes parents. J’ai au contraire été élevé dans l’humilité et la bienveillance envers les autres.
EB : Au-delà de ces traits de caractère, quelle vision du football diffusez-vous au quotidien ?
EdC : Cela fait plus de quinze ans que j’entraine et ma philosophie commence à être connue. J’aime que mes équipes prennent du plaisir avec du contenu et de la technicité. Mes séances sont basées sur ces principes. Tout est fait avec le ballon. Mais pour imposer une philosophie, il faut du temps et de la continuité. Ce n’est pas simple, surtout en National où il est difficile de conserver les meilleurs éléments. Il y a des joueurs comme Jonathan Clauss qui sont passés entre nos mains et dont tout le monde parle. Notre satisfaction est de voir ces joueurs franchir des paliers et atteindre le haut niveau. J’aime que mes équipes s’éclatent et que les spectateurs voient du beau football, même si ce n’est pas toujours facile…Je ne suis pas dans la recherche de la solidité à tout prix et l’attente de l’adversaire pour pouvoir le punir. J’aime le jeu. J’ai été élevé comme ça.
EB : Qui vous a inspiré dans cette quête du beau jeu ?
EdC : J’ai beaucoup appris de mon parcours de footballeur et de mes nombreuses rencontres. Je pense notamment à Guy Lacombe qui conciliait l’exigence et l’amour du beau jeu. Il fait partie des entraineurs qui m’ont beaucoup marqué. Je pense aussi à Nasser Larguet que certains ont découvert l’année dernière avec l’OM. Ils ont tous les deux contribué à me faire aimer le football et à me construire comme entraineur.
EB : Vous êtes un habitué du National. Comment décririez-vous ce championnat ?
EdC : Le National a beaucoup évolué ces cinq dernières années. Il y a beaucoup d’homogénéité. On le constate chaque semaine à travers les résultats. Il y a de moins en moins d’équipes concentrées sur le contenu. Il y a quelques années en arrière, même les formations du bas de classement étaient capables de produire du jeu. Désormais, à l’image de la grande mode du 3-5-2, on a basculé dans un football moderne, en continuelle évolution. Il faut s’adapter. Depuis deux ans, certains clubs profitent par ailleurs de la manne financière de certains investisseurs comme c’est le cas à Châteauroux ou Bourg. Ce soutien leur permet de construire des effectifs de grande qualité et dans la durée, cela peut faire la différence. Il y avait moins d’écart dans les budgets il y a quelques années.
EB : Dans ce championnat très disputé, que nous a-t-il manqué pour faire mieux en ce début de saison ?
EdC : La première raison a déjà été évoquée. Nous avons dû adapter notre recrutement aux incertitudes estivales. En cette période de crise sanitaire, certains joueurs ont privilégié la sécurité, et ne nous ont pas attendus, ce qui peut facilement se comprendre. Il ne nous a pas manqué grand-chose depuis le début de saison…mais il nous a manqué une certaine justesse technique. Malheureusement, nous n’avons pas pu profiter pleinement de notre effectif. Peu à peu, nous retrouvons des joueurs importants, capables d’assurer l’avant dernière ou la dernière passe. Nous ne pouvons pas nous permettre de doubler ou tripler tous les postes. Lorsqu’on a un joueur absent, c’est déjà compliqué, mais lorsqu’ils sont 5 ou 6 ça devient mission impossible. Souvent, cette saison, les joueurs qui auraient pu faire la différence étaient dans les tribunes…On ne peut pas nier un début de championnat complexe, mais cela s’explique par ces circonstances exceptionnelles.
EB : Dans ces contextes difficiles, on a l’impression que le mental prend une importance prépondérante. Comment gérez-vous cet aspect ?
EdC : Tous les grands clubs ont désormais un préparateur mental. Depuis quelques années, cet aspect a pris une importance fondamentale. Il a fallu mettre en place beaucoup de choses, tant sur le plan collectif qu’individuel car chaque joueur est différent. Certains ont besoins d’objectifs et de repères quotidiens pour pouvoir performer, certains ont besoin de rituels, d’autres d’imagerie, d’autres enfin d’échanges informels avec le coach. Tout cela prend beaucoup de temps, surtout avec de jeunes joueurs comme les nôtres. Ils ont besoin d’être guidés pour franchir des étapes car ils découvrent ce championnat et sont à l’aube de leur carrière. Lorsque l’on fait un début de saison comme le nôtre, l’aspect mental est fondamental. Nous avons toujours gardé espoir car individuellement et collectivement les garçons montaient en puissance. On sentait aussi qu’il se passait quelque chose dans le vestiaire. C’est un signe très positif. Notre rôle est de tirer la quintessence de chacun. C’est pour cela que certains joueurs non convoqués en début d’année arrivent désormais aux portes de l’équipe type.
EB : Quels ressorts avez-vous activés pour lutter contre les vents contraires ?
EdC : Les deux leviers essentiels sont la communication et la confiance. Ils sont étroitement liés. Lorsqu’il n’y a pas de communication, il n’y a pas de confiance. Nous avons beaucoup travaillé sur l’aspect tactique, à travers l’image par exemple. L’image est devenue un vecteur puissant, notamment pour de jeunes joueurs très connectés. Lorsque ces joueurs arrivent au club, nous réalisons des entretiens individuels pour comprendre à qui nous avons à faire et ajuster notre façon de travailler. Certains sont plus sensibles à l’individualisation du travail, d’autres sont plus dans une approche collective. Cette lecture est importante pour pouvoir faire passer les bons messages et activer les bons leviers.
EB : Lorsque l’on est un bâtisseur, pas simple de composer avec l’urgence des résultats. Comment avez-vous traversé cette période de doute et comment gérez-vous cette pression ?
EdC : C’est surtout très difficile pour la famille. C’est ce qui me touche. Quand je les vois malheureux, ça me donne encore plus de motivation pour renverser des montagnes. Je suis dans le milieu du football depuis très longtemps et j’ai toujours vécu avec des critiques. Mais avec le développement de nouveaux modes de communication, ces critiques sont devenues de plus en plus violentes. La critique nous permet d’avancer…sauf quand elle est infondée ou s’attaque aux personnes. Nous ne sommes pas des surhommes. Nous avons tous besoin de recharger les batteries. Je le fais en coupant pendant le week-end et en me ressourçant auprès des gens que j’aime pour repartir au combat dès le lundi matin. Ce n’est pas toujours simple, surtout quand on perd. Les gens analysent des résultats et pas ce qu’il se passe sur le terrain. Le match de Bourg nous a fait beaucoup de mal. Mon travail est regarder plus loin que le seul résultat et d’analyser ces 4 premiers buts qui n’arrivent jamais à ce niveau-là. En tant qu’entraineur, il faut savoir prendre ses responsabilités. La défaite fait partie du jeu et il faut l’assumer. J’aime la phrase de Nelson Mandela qui dit qu’on ne perd jamais (ndlr : « Soit je gagne, soit j’apprends »).
EB : Au milieu de tout ça, quels sont les motifs de satisfaction ?
EdC : Dans les contenus, nous avons toujours été très cohérents, sauf contre Bourg. Nous avons toujours été difficiles à manœuvrer. Assez solides. Nous avons produit du jeu. Certes, nous avons manqué d’efficacité offensive et défensive mais nous continuons à monter en puissance. Il faut mettre en avant l’état d’esprit des joueurs. Ils sont unis et il y a une vraie cohésion avec le staff. Lorsque l’on connait un début de saison comme le nôtre, c’est plus facile de se défausser. Ça n’a jamais été le cas. C’est une vraie fierté pour nous, membres du staff.
EB : Que peut-on se fixer comme ambition pour la suite du parcours ?
EdC : Nous sommes obligés de continuer à progresser car nous avons du retard. Il faut s’appuyer sur notre état d’esprit. Nous savons qu’il faudra être au minimum à 120% pour aller chercher des résultats. Pas 100. Minimum 120 ! Les joueurs l’ont intégré. Il faut continuer à travailler et vendre chèrement notre peau pour remonter progressivement et vivre de meilleurs moments. Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir…