De retour en région parisienne, Artur Jorge n’est pas revenu seul. Depuis près de dix ans, l’ancien entraîneur du PSG, n’a quasiment jamais quitté son adjoint. Pas n’importe quel adjoint. Raul Aguas, un technicien méconnu en France, mais l’un des grands noms du football portugais.
Artur Jorge – Raul Aguas, quand le premier est dans les parages, l’autre n’est forcément pas loin. Inséparables depuis 1996, les deux hommes célèbreront à Créteil leurs noces d’étain. Dix ans d’une collaboration initiée à la tête de la sélection portugaise et marquée par plus d’une demi-douzaine d’aventures communes en Espagne (Tenerife), en Arabie Saoudite (Al Hilal, Al Nasr), en Russie (CSKA), au Portugal (Coimbra) ou à la tête de la sélection camerounaise.
En février 2005, les deux hommes étaient d’ailleurs venus au stade Duvauchelle avec les lions indomptables dans le cadre d’un match amical face au Sénégal. Victoire 1-0, la première d’une série de douze matchs sans défaite. Malheureusement insuffisante pour envoyer les coéquipiers d’Eto’o en Allemagne. Comme chaque fois, Raul Aguas avait dirigé l’échauffement de ses protégés, alors qu’Artur Jorge était resté au vestiaire jusqu’aux secondes qui précèdent le coup d’envoi. Des débuts prémonitoires. Vendredi 3 octobre. Retour des deux compères au stade Duvauchelle. Cette fois-ci à la tête de l’USCL. Même stade, un peu moins de public, mais même dénouement face à Bastia. A l’image des Lions, les Béliers s’imposent 1-0.
Chaque vendredi, le rituel d’avant match se répète désormais en Ligue 2. Le couple a ses habitudes. Chacun a son rôle. « Artur est le chef. Moi, je travaille avec ses lumières. » précise Aguas. Travailleur « de l’ombre », l’homme préfère les projecteurs du stade à ceux des journalistes. Lors de la conférence de presse organisée pour l’arrivée des deux techniciens, l’adjoint avait préféré garder le silence. Pas tant par méconnaissance d’une langue qu’il maîtrise grâce à ses expériences belges et camerounaises, mais plutôt pour ne pas voler la vedette à son vieil ami Artur.
Méconnu en France, l’homme ne s’offusque pas lorsqu’on le questionne sur un parcours qui parle pourtant par lui-même. Car Raul Aguas est l’un des Messieurs du football portugais. Né en Angola en janvier 1949, il fait ses premiers pas de footballeur dans son pays natal (Lobito) avant de rejoindre la capitale portugaise et le Grand Benfica d’Eusébio, à l’âge de 16 ans. Le début d’un parcours de près de deux décennies marquées par la volonté de vaincre et l’abnégation. Sur le terrain, l’avant-centre jouit d’une réputation de guerrier. C’est cette force qui le conduira chez les espoirs portugais, aux portes de la sélection.
D’abord adversaire d’Artur Jorge, il le côtoiera ensuite pendant deux saisons chez les Aigles de Lisbonne (1969-71). Après cinq ans à Benfica, au côté des plus grands, la carrière d’Aguas prend un nouveau tournant. Direction le centre du Portugal et Coimbra (71-72) puis Tomar (72-74) avant de s’envoler pour la Belgique, avec Malines 74-76) puis Lierse (76-79). Avec les jaune et noir, Aguas sera d’ailleurs le premier Portugais à disputer une compétition européenne sous un maillot étranger. La « Saudade » le ramène pourtant vers Oliveira do Bairro (79-82) puis Portimão (82-83) où il évoluera, l’espace d’une saison, sous les ordres d’Artur Jorge, son ancien coéquipier et futur collaborateur.
Mais le vrai virage, c’est à Chaves que Raul Aguas le prendra. Fin d’une vie, début d’une autre. Il raccroche les crampons en 1985 et prend les rênes de l’équipe. Le début d’un parcours en solitaire qui lui vaudra à trois reprises le titre de meilleur entraîneur portugais pour sa maîtrise tactique, sa volonté et son inspiration. Après avoir décroché la montée en D1 avec Chaves, il récidivera, quelques saisons plus tard avec Setubal. Passé par Braga, Paços de Ferreira et Maritimo, Aguas se distinguera également à la tête de Boavista et du Sporting en lançant deux jeunes inconnus de 17 ans : Joao Pinto et Luis Figo. Une expérience de onze ans qui en dit long sur les compétences du double d’Artur Jorge.
Désormais installés à Créteil, Aguas et Jorge ont débuté leur travail d’analyse. « Impossible de tout traiter simultanément car les semaines de compétition laissent peu de temps de travail » précise l’adjoint. « Les réponses aux besoins de l’équipe viendront progressivement ». Mais pour Aguas, la priorité va à la condition physique. Et sur ce point, il a sa vision des choses : « Inutile de courir des heures autour du terrain. Nous insistons beaucoup sur le jeu en espace réduit, la possession de balle, les montées. La finalisation et les aspects individuels viendront ensuite. »
A l’image d’Artur Jorge, Raul Aguas sait que le défi qui attend les deux Portugais n’est pas de tout repos. « Mais à Créteil, nous disposons de bonnes conditions de travail et d’un bon staff technique » rassure-t-il. « Olivier Frapolli, Paul Luccacci et Marc Delaroche sont en parfait accord avec notre état d’esprit. ». Sur le terrain, l’effet Jorge-Aguas semble opérer. L’adjoint ne le cache pas. « Les joueurs y croient davantage » se félicite-t-il. « Ils savent qu’on ne peut pas toujours gagner, mais l’essentiel est de s’incliner uniquement face à meilleur que soi. Nous avons vu une bonne équipe et du bon football face à des formations théoriquement supérieures. Sur le plan comptable, l’équipe avait pris sept points en onze matchs. Elle a doublé ce capital en trois rencontres. »
Tout comme Jorge, Aguas préfère les actes aux longs discours. S’il sait que son objectif prioritaire reste le maintien, dans l’intimité, le technicien veut voir plus loin. « Dès décembre, nous espérons pouvoir commencer à bâtir l’équipe de la saison prochaine en recrutant trois ou quatre renforts autour du noyau dur actuel. Nous essaierons de faire quelque chose dès la saison prochaine » précise-t-il. Quoi ? Sans qu’il ose l’avouer, on sent évidemment qu’Aguas rêve de Ligue 1. Mais « les entraîneurs ne jouent pas. Tout repose d’abord sur les dirigeants et les joueurs. » précise-t-il.
Quels joueurs et à quels postes ? Après quelques semaines d’analyse, on sent qu’Aguas a une idée précise sur le sujet. Mais les confidences s’arrêtent là. Il préfère se cantonner à son rôle d’adjoint. Pour en savoir plus, c’est vers « le chef », son ami de quarante ans, qu’il faudra se tourner.